Cyclisme sur piste : une question de watts ?

févr. 21, 2019, 16:02

Depuis quelques années maintenant, les cyclistes et leurs entraîneurs ont de plus en plus recours à la mesure des watts pour établir des programmes d’entraînement et définir la cadence optimale de course.

Les watts sont une mesure de puissance, c’est-à-dire le rythme auquel l’énergie est produite ; en cyclisme, ils s'obtiennent en calculant F x V (la force (F) multipliée par la vélocité (V)) que le coureur exerce sur les pédales à tout moment.

Lors des derniers mètres d’une étape de Grand Tour, les watts développés par des sprinteurs sur route sont impressionnants. On a beaucoup parlé des watts générés par André Greipel : en 2018, lors du sprint final de la sixième étape du Tour Down Under, le sprinteur allemand de Lotto-Soudal a atteint 1903 watts et une vitesse maximale de 76,8 km/h, pour une moyenne de 1326 watts sur toute la durée de son sprint victorieux. Tout cela après deux heures de course sur un circuit de 90 km dans Adélaïde.

On entend également parler de la puissance des grimpeurs lors d’ascensions raides – où le rapport puissance/poids est de la plus grande importance.

Cependant, dans un vélodrome en intérieur, il n’y a ni montées, ni vent, ni variables extérieures.

Sprinteurs sur piste : des athlètes puissants

Les sprinteurs sur piste sont à la fois connus pour leurs cuisses impressionnantes et leur capacité à développer une très forte puissance sur de courtes périodes (à peine quelques secondes). Ils progressent dans ce domaine grâce à un entraînement spécifique : des sessions éreintantes de lactate, des sprints sur piste et des séances de musculation.

Du haut de ses 1 m 85 et 92 kg, Sir Chris Hoy, aujourd’hui retraité, pouvait développer 2500 watts en roulant sur le vélodrome à 80 km/h. Les cuisses du Britannique, l’un des cyclistes les plus décorés de l’histoire, 11 fois Champion du Monde UCI et sextuple Champion olympique, mesuraient 68,5 cm.

Quant aux femmes, l’Australienne Anna Meares – avant de prendre sa retraite – pouvait générer plus de 1800 watts de puissance lors d’un sprint à vélo. Pour information, l’athlète, 11 fois Championne du Monde UCI et double Championne olympique, pouvait soulever 235 kg d’une seule jambe.

Il est possible de produire le même nombre de watts en utilisant une plus grande puissance et une faible vitesse qu’en utilisant une plus faible puissance et une plus grande vitesse, comme démontré dans cette vidéo d’un entraînement au Japon.

Les sprinteurs sur piste utilisent des braquets bien plus importants aujourd’hui, par exemple 60 x 12 (pour une distance de 10,5 m par développement). Quelques années auparavant, le braquet tournait davantage autour de 48 x 14 (pour une distance de 7,2 m par développement). Cela veut dire que les athlètes pédalent plus doucement, environ 130-135 tpm (tours par minute), comparés aux 160 tpm à l’époque où les braquets étaient plus petits.

Il y a quelques années, le pistard professionnel allemand Robert Förstemann a fait le buzz sur les réseaux sociaux : dans une vidéo, il alimentait un grille-pain de 700 watts dans le but de faire griller une tranche de pain à la seule force de ses jambes de 74 cm de circonférence. Médaillé de bronze sur la vitesse par équipes aux JO de Londres 2012 et Champion du Monde UCI de cette même discipline, Förstemann a pédalé sur un vélo statique à environ 700 watts pendant un peu plus d’une minute, et la puissance qu’il a produite était convertie en énergie thermique grâce aux filaments du grille-pain.

Sans tenir compte des buzz sur les réseaux sociaux, les watts sont devenus le protocole standard pour suivre la progression des athlètes.

 

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Mesures des watts pour l’entraînement et l’identification des talents

"Une grande puissance ne veut pas forcément dire que vous allez vite" Craig McLean

Au Centre Mondial du Cyclisme UCI à Aigle (Suisse), les athlètes stagiaires se soumettent à un test de profil de puissance (« Power Profile Test ») à leur arrivée en utilisant les Wattbikes du centre. Ce test consiste en deux tests de puissance maximale sur 6 secondes, un test de sprint sur 30 secondes, et un test aérobie sur 4 minutes. Grâce à ce protocole, les entraîneurs peuvent déterminer les capacités des athlètes et s’ils ont plus un profil pour les épreuves de sprint ou d’endurance ; ils suivent ensuite leurs progrès grâce à des tests répétés au cours de leur séjour.

Pour avoir un ordre d’idée, les entraîneurs du CMC UCI attendent des sprinteurs hommes élites qu’ils génèrent 25 watts par kilo (de poids corporel). Cela veut dire que lors d’un pic de puissance durant un sprint à vitesse maximale, un homme de 90 kg devrait dépasser les 2250 watts (ce calcul montre que Chris Hoy développait plus de 27 watts par kilo). Pour les femmes élites, la valeur tourne autour de 20 watts par kilo.

La mesure des watts joue également un rôle important dans l’identification des talents et le développement de jeunes athlètes dans le monde : le test de profil de puissance fournit des données précises pour les athlètes qui s’entraînent dans les différents centres satellites du CMC UCI. Grâce à ces données, les entraîneurs du CMC UCI peuvent détecter de nouveaux athlètes talentueux, suivre leurs progrès, les comparer à des athlètes s’entraînant ailleurs et estimer leur marge de progression.

Craig McLean, entraîneur du CMC UCI et médaillé d’or olympique en vitesse par équipes en 2000 et Champion du Monde UCI en 2002, prévient cependant que les watts ne font pas tout. Il a d’ailleurs confié que, du groupe d’athlètes dont il s’occupe aujourd’hui, le coureur le plus rapide est celui qui génère le moins de puissance.

« La capacité à se faire petit et performant, et être au point question équilibre, coordination et technique, tout cela fait partie du cyclisme sur piste, explique l’entraîneur. Les watts sont une mesure utile. Nous essayons d’entraîner les athlètes pour qu'ils fassent de leur mieux avec leur puissance, mais développer une grande puissance ne veut pas forcément dire que vous allez vite. »