La science de la vitesse sur piste : coureur, machine et environnement en harmonie

nov. 8, 2019, 07:53

Il faut aller au-delà de la première impression quand il s’agit de se pencher sur les spécialistes de la vitesse en cyclisme sur piste. Au premier coup d’oeil, un vélo de piste s’apparente à une machine primitive, qui ne comprend qu’un pignon fixe. Il n’y a pas de freins - pour ralentir, il faut diminuer la fréquence de pédalage. On ne pourrait pas faire plus simple, n’est-ce pas ? Faux. Creusez un peu plus profondément, et vous découvrirez des cadres créés à partir d’un logiciel de calcul de mécanique des fluides, des tests en soufflerie et des essais en laboratoire, soit autant de moyens mis en oeuvre pour produire les vélos les plus légers, les plus rigides et les plus aérodynamiques possibles.

Commençons par le matériel : la fibre de carbone, qui fait le bonheur du pistard en permettant un compromis idéal entre légèreté et rigidité. Cette rigidité est vitale lorsque l’on considère les forces générées par le cycliste sur le cadre. Prenons le Néerlandais Jeffrey Hoogland, qui a signé, en juin dernier lors des Championnats d’Europe en Biélorussie, un nouveau record du monde du 200m lancé au niveau de la mer, en 9’’448. La vitesse moyenne de Hoogland a atteint les 80km/h, ce qui, vous l’imaginez bien, a fait subir d’énormes contraintes sur le cadre. Si ce dernier avait manqué de rigidité, une énergie cruciale aurait été perdue en route. Un gaspillage qui aurait privé le Néerlandais du record du monde.

Le rôle de la surface portante

La puissance de Hoogland est immense, elle tutoie les 2000 watts. La matière composant le cadre assiste plutôt qu’elle n’empêche. Il en est de même pour la forme du cadre. Au fur et à mesure que la vitesse du coureur augmente, les frottements de l’air croissent de manière exponentielle. En fait, quand la vitesse double, la résistance à l’air est multipliée par quatre. C’est là que rentrent en jeu les meilleurs spécialistes mondiaux de l’aérodynamique, plongés dans la recherche et la création de cadres qui réduisent la traînée. Cela a mené à la création du tube en forme de goutte, qui est aujourd’hui majoritairement représenté sur les cadres de vélo sur piste.

Cet apport vient en grande partie du travail du Professeur Ascher Shapiro dans les années 50. Il avait montré que les écoulements d’air sont beaucoup plus turbulents au passage d’objets ronds plutôt que sur une surface lisse, comme un tube conique. L’expert en aérodynamisme Simon Smart a montré que le tube en forme de goutte générait 1/20e de la traînée provoquée par un tube cylindrique d’un diamètre similaire.

Ceci étant dit, pourquoi ne voyons-nous donc pas d’énormes carénages sur les plus beaux vélos sur piste du monde ? La raison tient au règlement de l’UCI, qui s’assure que l’impact de la machine ne surclasse pas celui de l’homme, ce qui se matérialise par ceci : la largeur d’un tube ne doit pas dépasser 8 cm pour une épaisseur de tube minimum de 2,5cm, réduite à un 1 cm pour les haubans arrières.

Ce ratio de 8 : 2,5 équivaut à un ratio de 3,2 : 1. Des études montrent qu’un ratio situé entre 6 :1 et 7 :1 optimise l’aérodynamique sans pénaliser le poids. C’est la raison pour laquelle certains fabricants pourraient ainsi concevoir leurs tubes avec un ratio de 5 : 1 et tronquer la forme du tube pour respecter les directives de l’UCI. Cela devrait en théorie, réduire la traînée en créant une sorte de queue virtuelle générée par la partie tronquée.

L’effet de la pression atmosphérique

Il est clair que réduire la résistance à l’air est un paramètre indispensable pour optimiser sa vitesse. Mais ce n’est que l’une des facettes de tous les impacts que peut avoir l’air sur les cyclistes sur piste. La température de l’air et la pression atmosphérique rentrent aussi en ligne de compte. Durant sa préparation pour sa tentative de record du monde de l’heure en juin 2015, Bradley Wiggins, vainqueur du Tour de France 2012, avait confié à la presse : ”L’essentiel de mon record de l’heure dépendra de la température et de la pression atmosphérique. Je ne suis pas un météorologue, mais si vous avez une pression basse - sous les 1000 HPa (Hectopascals) - vous ferez beaucoup plus de chemin au cours de la journée. Jusqu’à un kilomètre de plus pour la même puissance.” 

L’air chaud est aussi plus dense que le froid, et c’est pourquoi l’équipe de Wiggins contrôlait la température du Lee Valley Velodrome, à Londres, autour de 28°C. Les effets désirés ont été obtenus : Wiggins, avec sa marque de 54,526km, a largement dépassé les 52,937km d’Alex Dowsett, qui détenait alors le record. La performance du Britannique a tenu quasiment quatre ans, jusqu’à l’exploit de Victor Campenaerts, en avril 2019. Aidé par une basse pression liée à l’altitude du Velodromo Bicentenario d’Aguascalientes, au Mexique, le Belge a bouclé l’heure avec un total de 55,098km.

 La forme de la piste a également un impact. Commençons par les basiques : si un pistard devait accélérer sur une piste plate, il aurait bien du mal à y parvenir. Voilà pourquoi l’inclinaison de la pente est un facteur important. La pente de la piste est dictée par sa longueur. L’inclinaison d’une piste de 250m, par exemple, ne doit pas excéder 45° ; une piste plus longue de 333m ne peut pas aller au-delà d’une inclinaison d’environ 32°. Finalement, chacun y trouve son compte : les sprinteurs préfèrent les pistes raides pour générer de la vitesse tandis que les coureurs d’endurance s'accommodent mieux des pistes aux angles modérés, pour préserver de l’énergie. 

Les bénéfices de l’aspiration

Le principe de la préservation d’énergie, permise par le phénomène d’aspiration, est importante dans les épreuves collectives. Un coureur situé derrière un autre bénéficie de la baisse de pression créée par le coureur à l’avant. Plus les deux coureurs sont proches, plus le phénomène est important. Swiss Side, constructeur de roues, a montré qu’un coureur se situant 10cm derrière la roue arrière d’un autre coureur sauve 90 des 250 watts nécessaires pour maintenir une vitesse de 45km/h : cela représente une énorme économie d’énergie de 39,5%. Sans surprise, plus le coureur est loin, plus l’effet est moindre. Mais même en étant situé 20m derrière, Swiss Side a montré une économie d’énergie de 8,9%.  

Les avantages se situent même là où on ne les attend pas. Le Professeur Bert Blocken, de l’Université d’Eindhoven, a montré qu’un cycliste qui en précède un autre pouvait bénéficier d’un phénomène de poussée, de l’ordre de 1,5% si le coureur est 15cm derrière lui.

La réussite en cyclisme sur piste dépend ainsi bien plus que de la seule puissance développée par un homme ou une femme. Leurs vélos sont loin d’être les rudimentaires machines qu’elles semblent être à la première impression. Certes, un faible taux de masse grasse, de puissants muscles et une technique efficiente constituent des paramètres cruciaux dans la performance. Mais l’environnement, le matériel et la position du coureur le sont aussi. Le cyclisme sur piste est vraiment le mix sportif ultime entre machine et nature, deux éléments qui se doivent d’être utilisés en harmonie. Pour aller le plus vite possible.