Giro d’Italia 1920 : le triomphe de l’éternel second Tano Belloni

mai 8, 2020, 11:53

Le Giro d'Italia 1920 a commencé avec un retournement de situation inattendu : le vainqueur sortant Costante Girardengo, favori pour un nouveau succès, a abandonné lors de la deuxième étape, après une première journée de course mouvementée. Il s'agissait d'un moment historique, l'ascension du Monte Ceneri marquant l'entrée dans un pays étranger, la Suisse, pour la première fois. Les coureurs de l'équipe Bianchi-Pirelli ont marqué les esprits en imposant un rythme élevé qui a condamné Girardengo, victime de problèmes mécaniques et également sanctionnée par des pénalités à son arrivée à Turin, près de 12 minutes après le vainqueur, Giuseppe Olivieri. La lutte pour le classement général, dont le dénouement semblait déjà connu avant même le départ, venait de s'ouvrir pour tous les outsiders.

 

Seules trois équipes s'étaient présentées à la « punzonatura » (le « poinçonnage » des vélos des coureurs avant le départ) avant la deuxième édition post-première Guerre Mondiale du Giro d’Italia : Bianchi-Pirelli, Legnano-Pirelli et Stucchi-Pirelli. Ce peloton était accompagné par des coureurs indépendants pour composer une troupe de 49 courageux participants, la plupart italiens. On retrouvait notamment le triple vainqueur Carlo Galetti (en 1910, 1911 et 1912), le Français Jean Alavoine, très en vue lors des précédentes éditions du Tour de France, le Belge Marcel Buysse et plusieurs Italiens ambitieux, à l'image d'Angelo Gremo, Giovanni Gerbi et Giovanni Rossignoli.

 

La chance de Tano Belloni

 

Il faut ajouter à cette liste Gaetano « Tano » Belloni, membre de la formation Bianchi-Pirelli, qui s'était distingué par une très belle carrière chez les Amateurs. Agé de 28 ans, il avait été dispensé de service militaire après avoir perdu le pouce et l'index de sa main droite en travaillant dans une usine textile. Belloni avait remporté le Championnat d'Italie Amateur, le Piccolo Giro di Lombardia et la Coppa del Re. Il avait aussi créé la surprise en remportant le Giro di Lombardia à deux reprises (1915 et 1918) et en faisant aussi bien sur Milano-Sanremo (1917 et 1920). Ami de Girardengo, il restait néanmoins dans l'ombre de cet immense champion, plus jeune que lui d'un an.

 

Sans surprise, son surnom était « l’eterno secondo », « l'éternel second ». Il avait d'ailleurs fini deuxième du Giro 1919, pendant que Girardengo écrasait la course : leader du début à l'arrivée en remportant les deux premières et les cinq dernières étapes.Tano avait tout de même remporté la 5e étape, une victoire qui marqua un tournant dans sa carrière de coureur de Grands Tours. La légende veut qu'il reçût à cette occasion une peinture signée d’un certain Pablo Picasso... une œuvre immédiatement revendue pour la bagatelle de deux lires, le champion cycliste ignorant sa valeur !

 

 

La première journée du Giro d’Italia 1920 a tout bouleversé : Girardengo était hors-jeu, et Giovanni Gerbi avait été disqualifié pour s'être accroché à une voiture, avant d'être réintégré à la suite des protestations d'un groupe de supporters. Belloni commençait à se dire qu'il avait sa chance. A l'issue de la deuxième étape, entre Turin et Lucques, en Toscane, Tano avait trois raisons d’être optimiste : il avait remporté l'étape, devant Giovanni Brunero (Legnano), il était en tête du classement général, et son rival et ami avait abandonné.

 

La domination de Bianchi

 

Belloni a récidivé lors de la 3e étape, en s'imposant une nouvelle fois, à Rome, devant son coéquipier Angelo Gremo, après 386 km qui comprenaient un passage dans les montagnes des Apennins. Le Français Alavoine a ensuite profité des difficultés de la 4e étape, entre Rome et Chieti, pour enflammer la course. Son raid solitaire lui a permis de s'imposer avec plus de 31 minutes d'avance sur Buysse et Belloni.

 

D'autres échappés ont profité des conditions difficiles, avec une mauvaise météo et des infrastructures en mauvais état au sortir de la guerre. Lors de la 5e étape, l'Italien Leopoldo Torricelli (Legnano) s'est imposé en solitaire à Macerata avec une marge similaire. Mais Belloni avait une belle emprise sur le classement général.

 

Alavoine, Belloni et Buysse, équipiers chez Bianchi, ont dominé l'étape suivante vers Bologne. Puis Belloni a décidé de marquer une nouvelle fois cette édition en remportant la 7e étape en solitaire (avec 2 minutes d'avance) à Trieste, ville emblématique de la fin de la Grande Guerre en Italie.

 

Le Giro d'Italia s'est terminé dans des circonstances inhabituelles le 6 juin, après une longue étape de Trieste à Milan (421,3 km). Alors que le groupe de tête se préparait pour le sprint final à l'hippodrome de Turro, le public enthousiaste a envahi le parcours, et les commissaires ont décidé de suspendre la course pour des raisons de sécurité. La victoire a été attribuée aux neuf coureurs de tête. Seuls dix coureurs ont réussi à terminer toutes les étapes du Giro : cinq de l'équipe Bianchi et cinq indépendants. Le meilleur indépendant était Emilio Petiva, avec un retard d'un peu plus de trois heures sur Belloni, vainqueur devant ses équipiers Angelo Gremo (+ 32'24'') et Jean Alavoine (+ 1h01'14'').

 

Le triomphe de l'éternel second

 

Gaetano Belloni n'allait jamais renouveler ce succès sur le Giro d'Italia. Il a fini deuxième en 1921, derrière Giovanni Brunero pour 41 secondes, il a dû abandonner en 1922 alors qu'il occupait la tête du classement général et a fini quatrième en 1925. Il a encore remporté le Giro di Lombardia en 1928 et la 1re étape du Giro 1929 (à 37 ans), son dernier grand succès dans une carrière marquée par 43 victoires, dont 12 étapes sur la Corsa Rosa.

 

Avec son physique imposant (il pratiquait la lutte gréco-romaine dans sa jeunesse), il a également brillé sur la piste, avec deux victoires dans les Six Jours de New York et une autre aux Six Jours de Chicago. Il est devenu très populaire aux Etats-Unis : lorsqu'il s'est cassé un bras après une chute au Madison Square Garden par exemple, le célèbre ténor italien Beniamino Gigli a mis sa limousine à disposition pour transporter le coureur à l'hôpital et a interrompu ses répétitions pour lui rendre visite. Tano a pris sa retraite sportive à 40 ans et est devenu Directeur du vélodrome Vigorelli à Milan. Il est décédé à 87 ans.

 

Initialement programmé cette année du 9 au 31 mai, le Giro d’Italia a été repoussé du 3 au 25 octobre selon le calendrier de l’UCI WorldTour 2020 révisé dans le contexte de la pandémie de coronavirus.