Chris Boardman, en mission pour changer les modes de vie

févr. 5, 2021, 08:16

Chris Boardman. Vaste sujet pour un personnage aux multiples facettes... Alors par laquelle l’aborder ?

 

Celle de l’ancien détenteur du Record de l’Heure UCI ? Celle du triple vainqueur d’étapes sur le Tour de France ? Celle du multiple Champion du Monde UCI ? Celle du champion olympique de poursuite individuelle en 1992 ?

 

Ou bien, si l’on passe à sa reconversion, celle du co-fondateur de Boardman Bikes ? Celle du consultant télé ?

 

Aujourd’hui en tout cas, vous aurez plus de chances de discuter avec la star britannique de négociations portant sur l’accessibilité des trottoirs aux poussettes, la sécurité des enfants à vélo et l’atténuation des changements climatiques. Conseiller en matière de politique vélo auprès de British Cycling, la Fédération Britannique de Cyclisme, depuis 2012, et nommé Commissaire du Grand Manchester pour les piétons et les cyclistes cinq ans plus tard, Boardman met autant de passion dans la défense des causes dont il a la charge que dans ses conquêtes de médailles dans les années 90.

 

 

Au cours de sa carrière, Boardman était souvent surnommé The Professor, en raison à l’attention méticuleuse qu’il portait au moindre détail de sa préparation et de son entraînement. Plus de 20 ans plus tard, c’est avec la même exhaustivité et la même détermination qu’il évoque son rôle d’ambassadeur au sein du Grand Manchester.

 

Depuis les deux dernières années, il supervise la création d’un plan directeur général. Ce « Masterplan », comme il l’appelle, rares sont ceux qui auraient pu l’envisager, sans même parler de le piloter. Car nous parlons là d’un réseau urbain piéton et cyclable de près de 2900 km, dont la réalisation nécessitera 10 ans et 1,5 million de livres sterling (environ 1,7 million d’euros).

 

« C’est un travail très complexe, reconnaît l’architecte du plan. C’est à la fois technique, politique, culturel, mais c’est une expérience passionnante, une formation accélérée en changement de culture, le tout à grande échelle. »

 

Une vision pour le Grand Manchester

Le Grand Manchester compte plus de 2,8 millions d’habitants et s’étend sur 1276 km2. Son maire, Andy Burnham, est déterminé à donner aux habitants de cette région fortement dépendante de la voiture la possibilité de se déplacer autrement. Pour porter ce projet, il a vu en Boardman l’homme de la situation. L’ancien pro est extrêmement reconnaissant envers British Cycling, qui a apporté son soutien total à son conseiller en matière de politique vélo quand il a été question qu’il endosse ce deuxième rôle : « British Cycling m’a vraiment soutenu pour que j’obtienne ce poste, sans jamais penser à son intérêt. C’est ce qu’on appelle du leadership désintéressé. »

 

L’objectif de Boardman était clair : faire en sorte que chaque résident du Grand Manchester, qu’il soit jeune, âgé ou en situation de handicap, se voit offrir une solution alternative attractive à la voiture, s’il le souhaite.

 

 

« Il n’est pas simplement question ici de faire du vélo ou de marcher, explique Boardman. Il s’agit de prendre beaucoup moins le volant et d’améliorer la santé de population. Or il se trouve que ces deux activités, le vélo et la marche, représentent la façon la plus rapide, la plus économique et la moins déstabilisante d’atteindre ces objectifs. »

 

Et c’est là que le fameux Masterplan entre en jeu. Boardman assure que l’ensemble des quartiers ont été associés à son élaboration, que la population a eu son mot à dire et que son équipe a fait en sorte qu’un maximum de besoins soient pris en ligne de compte. Cette méthode a transformé les approches du type « un panneau de croisement par-ci » et « un tronçon de piste cyclable par-là », en une vision cohérente et exhaustive.

 

« En plus, et c’est le plus important, elle a été élaborée sans que l’on tienne une seule fois le stylo, s’émerveille Boardman. Ce sont les 10 quartiers qui ont tenu le stylo, au sens propre comme au sens figuré, de A à Z. J’ai simplement contrôlé les questions et eux, ils ont dessiné ce qu’ils estimaient être nécessaire. Lorsqu’ils ont terminé la première ébauche, nous l’avons mise en ligne afin que la population puisse la commenter. En quelques jours à peine, nous avons reçu 4000 réponses et notre plainte la plus virulente a été : ‘et le nôtre, où est-il ?’ »

 

« Cela été une immense satisfaction d’obtenir ce type de consensus de la part de la région toute entière, de voir cet objectif commun fédérer des millions d'habitants. »

 

Concrétiser la vision

Le Bee Network promet de changer le quotidien de milliers d’habitants avec :

  • près de 2 900 km de voies cyclables et piétonnières reliant les différentes zones du Grand Manchester ;
  • 700 km de voies protégées le long des principaux axes et des artères du centre-ville ;
  • un système de signalisation clair basé sur le système Knooppunten, qui a fait ses preuves aux Pays-Bas et en Belgique ;
  • 17 quartiers à la circulation apaisée, dans lesquels piétons et cyclistes auront la priorité sur les automobilistes.

 

Boardman reconnaît que les plus grands défis restent à venir : « Après deux ans de mobilisation, l’année 2021 est celle de la concrétisation, la période qui va engendrer le plus de chamboulement et de changement. Il faudra une vision politique forte et beaucoup de courage pour se tenir au projet car c’est certain que dans quelques mois, tout le monde préfèrera la nouvelle configuration. C’est juste qu’ils sont nombreux à encore l’ignorer à ce stade. »

 

L’ancien spécialiste du contre-la-montre admet que le coronavirus a servi sa cause à bien des égards : « La pandémie et le confinement ont mis la circulation à l’arrêt et donné à tous l’occasion de s’approprier les rues différemment. C’était une sorte de réconfort pour la planète toute entière. Tout d’un coup, les gens ne tenaient plus de raisonnements de type ‘eux et nous’. Tout le monde est devenu cycliste. La pandémie a contribué à jeter des passerelles et je suis déterminé à les conserver ».

 

 

« Au fur et à mesure que les projets se concrétiseront, nous allons rassembler des témoignages de résidents, de commerçants, d’écoliers, de tous ceux qui se sont vus proposer une alternative à la voiture. Les gens verront ainsi sous leurs yeux les avantages que peut leur apporter le projet et ils l’entendront de la part de gens auxquels ils font confiance. »

 

Boardman espère qu’en concrétisant ce changement à une si grande échelle, le reste du pays ne pourra pas l’ignorer. Et de poursuivre : « J’espère que cela fera des émules, jusqu’à ce que le pays tout entier fasse la même chose. Peut-être que le Royaume-Uni incarnera l’exemple d’un pays centré autour de la voiture qui a su se réinventer ».

 

« Je veux participer à ce changement de mentalités. »

 

Aucun doute là-dessus, l’ancien champion est tout aussi déterminé à faire enfourcher le vélo à ses compatriotes qu’il était motivé à rouler plus vite que ses concurrents au cours de sa carrière professionnelle.

 

En tout cas, Boardman n’a rien perdu de son esprit de compétition. Nous lui avons demandé d’imaginer sa réaction si quelqu’un plaçait le mot « vélo » dans un jeu de Scrabble : ce mot évoquerait-il chez lui des souvenirs du Tour de France ou bien des images de pistes cyclables en centre-ville ?

 

« Ma réaction serait de trouver un moyen de gagner la partie ! »

 

Photo principale (©Transport for Greater Manchester / TfGM): Chris Boardman