Les Strade Bianche sont l’équivalent printanier d’un grand événement médiéval d’été

Après sa victoire dans la version féminine des Strade Bianche 2017, Elisa Longo Borghini, alors membre de la formation Wiggle High5, s’était fendue d’un commentaire avec des trémolos dans la voix, indiquant : « Cette course est particulièrement fascinante à cause du niveau de son environnement culturel et artistique. Je remercie RCS pour l’exposition médiatique dont nous ne bénéficions pas forcément lorsque nous participons à des courses qui sont tout aussi formidables que celle d’aujourd’hui. »

Dans la magnifique ville de Sienne, d’où partent et où arrivent les concurrents, hommes et femmes, le premier ou le deuxième samedi de mars, tout est question d’arts et de culture – les arts de la table ne devant pas être mésestimés dans l’antre de la Ribollita, la soupe de Toscane. Sienne est l’endroit où fut créée, en 1472, la plus ancienne banque du monde, Montepaschi, toujours présente dans les activités commerciales de la cité, mondialement connue pour son « palio », une course de chevaux que les jockeys montent sans selle, deux fois par an, en juillet et en août. Les archives de l’événement remontent au XIVe siècle. Chaque été, la Piazza del Campo continue de se remplir de nombreux spectateurs enthousiastes.

À l’inverse, les Strade Bianche représentent une création récente dans le cyclisme souvent considéré de nos jours comme un vieux sport. Le Russe Alexandr Kolobnev a remporté en 2007 la première édition d’une épreuve d’abord disputée sous le nom de Montepaschi Eroica avant d’adopter son appellation actuelle en 2012. Mais la course cycliste n’a rien de nouveau en Toscane, la région qui a enfanté Gino Bartali et tant d’autres champions. En 1897, les frères Giulio et Ernesto Gallo, viticulteurs, avaient mis sur pied une compétition destinée à promouvoir leurs produits et à relier les villes et les campagnes les plus reculées en passant par des chemins. Les coureurs devaient pédaler jusqu’à épuisement et le dernier rescapé était déclaré vainqueur.

La traduction littérale des Strade Bianche est « routes blanches ». Plus de cinquante kilomètres de l’épreuve masculine se déroulent sur des secteurs non-asphaltés et l’un d’entre eux porte le nom de Fabian Cancellara depuis que le champion suisse s’est imposé une troisième fois. C’est paradoxalement sur des routes d’un autre temps que se dispute l’un des événements les plus représentatifs du cyclisme du XXIe siècle ! Mais la modernité de la manifestation tient aussi à ce que, depuis 2015, les hommes et les femmes se produisent simultanément sur les mêmes tronçons. L’intensité de la journée de courses, à Sienne et dans ses environs, n’a pas d’équivalent contemporain dans notre sport.

Hormis Cancellara, le palmarès des Strade Bianche recèle les noms de champions du monde UCI sur route ou en cyclo-cross : Philippe Gilbert, Michal Kwiatkowski et Zdenek Stybar. C’est pourquoi des jeunes coureurs comme Warren Barguil classent l’épreuve parmi les « Monuments du cyclisme » alors que la dénomination est réservée aux cinq grands centenaires que sont Milan-San Remo, le Tour des Flandres, Paris-Roubaix, Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Lombardie. Le vainqueur de l’an passé, Tiesj Benoot, en avait fait une priorité de sa campagne des classiques mais déclaré forfait pour Milan-San Remo et Paris-Roubaix, des courses qui lui conviennent, pourtant.

Un grimpeur du Tour de France comme Romain Bardet est reparti enchanté de son expérience l’an passé après avoir terminé deuxième. Les Strade Bianche ont quelque chose de magique : elles s’adressent à des concurrents aux caractéristiques très différentes. C’est l’origine de sa success story à l’heure où les fans se plaignent de la spécialisation excessive des coureurs de classiques.

Comme le très ancien « palio », les Strade Bianche trouvent leur dénouement sur la place du Campo, à laquelle les cyclistes accèdent, péniblement, par les ruelles étroites et pentues de la cité médiévale. Pour la première fois, l’an passé, à la veille de l’épreuve, les organisateurs et les équipes ont été conviées à une visite privée de la « contrade » Onda, lauréate du « palio » l’été précédent. Les représentants du monde du vélo ont pu ainsi découvrir, en sous-sol, le musée et l’église qui perpétuent sept siècles d’une tradition solidement ancrée dans le paysage local. Les coureurs cyclistes sont devenus les combattants modernes de cet environnement de très haut niveau culturel et artistique. C’est donc sans surprise que le vainqueur du centième Giro d’Italia, Tom Dumoulin (en 2017), a, dans la foulée de ses exploits, emmené sa fiancée en vacances à Sienne, où la modernité rencontre la tradition en matière de sport.